Pour une fois qu'elle avait une permission pour sortir du camp, Raina en profitait pleinement. C'était la première fois, depuis qu'elle avait terminé son apprentissage auprès de Lupa. Ces moments de repos étaient salvateurs pour elle, la tête de turque de ses camarades légionnaires. La rousse savait ces promenades parfois dangereuses, mais elle s'en fichait. Elle voulait profiter de sa jeunesse, croquer son humanité à pleines dents. L'adolescente aimait les petites choses simples de la vie. Et elle aurait probablement tué pour revenir à la "normalité". Elle ne se sentait pas à sa place, entourée de ces gros bras et de ces moralisateurs. On la jugeait. Jaugeait. Constamment. Elle l'admettait et l'assumait ouvertement : c'était loin d'être une guerrière. Raina n'était pas faite pour cette vie. Mais son avis, on ne lui demandait pas. Alors elle subissait en silence, résignée à vivre cette existence qui ne lui plaisait guère. Plus que tout, sa famille lui manquait. La solitude la rongeait. Et elle n'arrivait pas à combler ce vide inhérent.

Marchant tranquillement dans une rue plus ou moins vide d'habitants, de sa main droite, l'arc-en-ciel jouait avec une pièce. Son regard suivait la monnaie montante et descendante. Elle errait en pleine ville, sans trop savoir où se rendre. Malgré son manque familial évident, elle ne souhaitait pas revoir ses parents pour ensuite s'arracher à eux. Encore. Ils ne le supporteraient pas. Elle non plus, d'ailleurs. Alors elle profitait de cette liberté éphémère. Elle profitait du fait de n'avoir aucun entrainement à éviter, aucun combat de gladiateurs, aucun regard scrutant ses moindres gestes. Vivre. Elle voulait juste vivre. En paix. Dans sa petite bourgade paumée. Avec son ennui et sa normalité affligeante.

Seulement, le calme fut de courte durée. En effet, devant elle arrivait un blond, s'agitant dans tous les sens. Il était poursuivi par... Des choses ailées et pas très agréables à l’œil. Des harpies sans doute. Raina leva le nez vers le centre des attentions alors que le jeune garçon lui demandait de l'aide. Un énième demi-dieu en perdition, attaqué par des bébêtes pas très sympathiques. Elle fut tentée deux secondes de feinter l'ignorance. De dire ce que tout humain aurait dit : "Je ne vois rien, seulement deux femmes qui te coursent. Tu serais pas un petit pervers sur les bords ?". Malheureusement, Raina les voyait bel et bien. Ces ignobles bestioles... Et elles aussi apparemment, puisque l'une des harpies se dirigea droit vers la rousse. « Putain. Pourquoi tant de haine ? » Elle leva les yeux au ciel, comme pour accompagner ses paroles. Il ne restait plus qu'une solution : fuir.

Sans crier gare, elle invoqua un arc-en-ciel aveuglant. La jeune femme tolérait bien cette lumière qu'elle émanait quotidiennement. Mais c'était insoutenable pour n'importe qui d'autre. Ses demi-frères et sœurs exclus, évidemment. Avant que les effets ne s'estompent, elle s'approcha rapidement du blond et l'agrippa par le bras. « Si tu veux pas clamser, c'est le moment de courir. Ramène-toi. » Elle commença à courir sans attendre son approbation, sa main toujours agrippée au bras de l'autre pour le guider.

Comme prévu, l'arc-en-ciel disparut petit à petit. Et voila que les harpies étaient à nouveau opérationnelles et prêtes à les courser. Ils avaient pris un peu d'avance, mais ils n'allaient certainement pas pouvoir courir éternellement. « T'as une idée brillante ? Je suis toute ouïe. » Prononça-t-elle entre deux soubresauts. Sa respiration se faisait courte. L'endurance, ce n'était pas particulièrement son point fort. Ils pouvaient toujours essayer de les semer. Raina claqua des doigts, mais seuls quelques arcs-en-ciel microscopiques firent leur apparition. Pas de quoi reproduire l'effet aveuglant précédent. Quoi ? Ce n'était pas une machine ! En plus, c'était encore une modeste novice... La rousse ne se trouvait dans le "système" que depuis deux ans ! Un peu de patience... Elle allait bientôt pouvoir réitérer la chose. Elle le sentait au fond de ses tripes. Elle espérait que ça soit à temps. Et du temps, il leur en manquait gravement.