Gamine, j'avais un vie assez ennuyante, en somme. Tout se limitait aux cris perçants mêlés à ceux d'autres et aux bagarres que je déclenchais avec une excitation palpable - j'avais un don pour ficher les autres mouflets à terre et un goût prononcé pour mettre la mise à mort factice de mes adversaires à l'aide d'une feuille en guise de dague. Pas une fillette calme et mignonne. Plutôt celle sur laquelle on se pose plein de question et je maintiens le fait que tous, jugent trop vite. Parce qu'ils me surprennent en culotte lorsque je vais chercher du courrier, parce qu'ils capte un rire dément au détour d'un couloir, parce qu'ils interceptent une insulte derrière un buisson. Tous, ils me contemplent une seconde, je décoche un sourire et ils prennent ça pour une insulte. J'y peux rien, franchement.

Il faut avouer que j'ai très peu contribué au côté "femme discrète" que ma mère cherchait à se donner. La sobriété, ça me connaît très mal, je suis loin d'être le genre de fille à côté de laquelle on passe sans faire attention. Je provoque au moins un frisson, qu'il soit de dégoût ou son contraire, je m'en branle, je sais que je ne suis pas l'invisible tête blonde supplémentaire de la couvée COX. Je n'ai pas juste le nez plus pointu, je ne suis pas juste la plus vieille; je renvoie une image assez dégradante de moi-même. Et ça se répercute sur le reste du troupeau Coxien. La vérité c'est que je n'ai jamais été très douée pour quoi que ce soit, sauf pour battre des cils. Je bats des cils en permanence et je suis généreuse alors, tout de suite, je suis de petite vertu. Et on passe à la trappe tout le côté guérisseuse de l'âme; j'aimerai faire savoir qu'on ne répare pas le stress qu'avec du gaviscon.

Pourtant, j'ai jamais été une très jolie fille, avec mon nid de paille sur la tête, avec mon museau de rate, avec mes mimiques effrayantes.

S'il faut présenter la couvée, sachez que je suis l'aînée. Maman s'est faite engrossée d'un certain Dieu prénommé Bacchus. Ne me demandez pas le pourquoi du comment, la chose est arrivée et c'est 1 mois avant les contractions qu'elle rencontre Max. Jolie bedaine, visage amusant, un papa mignon quoi, presque parfait, s'il était pas sur la paille. Le couple file le parfait amour, je débarque, ils se marient en petites pompes très peu de temps après et emménage dans une maison à l'apparence précaire en plein Texas -le pays de chuck norris tout ça. Le prochain, c'est Tyler, blond vénitien, pour ne pas dire roux de la portée. La troisième, Tiger Lily, ou Lily. Presque aussi féroce que moi mais trop attachée à ses contes de fées avec princesses et poneys volants pour être une mini-moi. Enfin, l'dernier, une vraie terreur, le petit Romy. Ses joues sont encore toutes boursouflées par la jeunesse, pas vu depuis si longtemps que je me demande s'il a perdu cette allure de bouée de sauvetage en détresse. Des amours de poussins, tous blonds -ou blonds vénitiens-, tous agités, tous Cox -eh oui, chez les Cox, le féminin l'emporte.

En s'intéressant au côté divin de ma généalogie, ça donne quelque chose comme - Bacchus, dieu du vin ou de l'ivresse, des festivités, je suis pas fixée encore mais tout le concept me plaît dans son ensemble. Puis j'ai dû me aller dans ce camp jupiter où je suis toujours. Un camp censé me protéger des méchants monstres et dans lequel je ne serai pas allée si ma vie et celle du reste de la couvée Cox ne dépendaient pas. J'ai la discipline en horreur et la discipline dans ce camps est comme une sorte de religion que je trouve étouffante. J'ai l'impression d'avoir un carcan en acier autour du coup et qu'à chaque pas que je fais on me tire vers l'arrière avec une laisse en métal. Évidemment, il y a aussi tout le côté social de la chose : regards arrogants et prétentieux des autres cohortes que je ne supporterai pas s'il ne m'était pas donné de temps à autres l'occasion de les soumettre à ma grandeur -c'est rare mais je m'en contente tant qu'ils n'essayent pas de me toucher sinon, boom.

Et puis il y a Andrea. Une loque, un gamin sans défense, une fillette, pâle et frêle; même son prénom rappelle celui des douces princesses en haut de leur tour en ivoire. Andrea est à moi, cela dit. Ne vous avisez pas de penser que je dis tout ça parce que sa présence m'importune, ça n'a rien à voir, Andrea est mon favoris dans ce chaos romain et je suis la seule à pouvoir le charrier. L'UNIQUE. Et je sais bien qu'il est presque inconcevable de se dire que ce mollusque a réussi les épreuves d'entrée au camp. Quoiqu'il faut se rappeler d'un détail : il est de la 5, comme moi, aigle perdu, une lance pour 6, ce genre de trucs.

Un jour, j'ai trouvé une lettre dans mes affaires, elle avait été glissée là par magie. Et la magie, ça connaît bien ceux qui nous entourent dans ce troupeau de demi-dieux. Cette lettre, elle disait :

Dakota.

Tu sais, un jour, je t'épouserai. Ici, tout le monde te dit vulgaire mais moi, je trouve que tu ressembles à une princesse avec ta couronne de frisettes dorées. J'aime aussi beaucoup ton nez, surtout quand tu le frises.

Signé, un coeur.

Je crois que j'ai ris comme une oie, puis je me suis précipitée pour tout raconter à Andrea. Mais j'savais pas que c'était lui, j'avais jamais lu pareille idiotie romantique, je lui avait dit. Et il m'a regardé en me disant que c'était pas si nul que ça. J'ai dit que c'était joli, que sûrement le type de la lettre voulait me sauter, qu'il n'avait qu'à se montrer.

Deux jours plus tard, aucune nouvelle du poète.

Le lendemain d'une course de chars fort palpitante, j'ai tiré Andrea par la main et il croyait recevoir une de mes câlins, comme d'habitude. Vous savez, ces câlins que je lui afflige en permanence; je le serre assez fort pour sentir ses os piquer ma peau opaline. Je hume ses cheveux, je ferme les yeux et je me dis que le préfère à tous. TOUS. Il est mon coeur, mon frère, mon ami, mon petit animal, mon mien, en somme. Mais attention, je ne l'aime pas d'amour. Ah ça non. On a juste comme horriblement besoin l'un de l'autre pour avancer. Je saurai pas vous dire comment ça fonctionne, c'est juste que je le ressens comme ça. Alors je le serre fort et encore et encore et encore. Puis je le couvre de bisou. Généralement, ce genre de scénette fini en baise. Mais ça n'arrive pas aussi souvent que ça : il faut éviter de se faire choper, il faut éviter qu'on croit que je l'aime, on est pas amoureux, on est juste Dakota et Andrea, juste nous, juste ça, et rien d'autre.

La première fois, je me souviens juste m'être glissée dans les vestiaires alors qu'il s'y attardait. L'endroit était désert. Andrea est un peu amorphe, il a fallu le ménager. Puis une fois qu'il comprenait mes gestes, tout se déroulait parfaitement; j'avais peur de le briser par inadvertance en appuyant sur lui mon bassin mais il s'est avéré être solide, plus que ce que j'imaginais.

Andrea, tout le monde pense que j'ai une influence mauvaise sur sa personne. Je suis comme une gangrène qu'il faudrait arracher de son flanc blessé. J'ai souillé l'être immaculé qu'il était. Mais tout est faux parce qu'ils ne connaissent pas Andrea. Et moi, je le connais. Je serai en première ligne le jour où la cohorte 5 prendra les piques et flanquera ses adversaires 1 au sol. Raah je les égorgerai ces pourceaux proprets du bout de ma dague !