We are young, we run free
Stay up late, we don’t sleep
Got our friends, got the night
We’ll be alright

some stuff we'd like to know
   

this is me
   

You gotta keep on keeping on even with the feeling that you're gonna keep losing. You gotta come back strong

La télévision passait des dessins animés en boucle en cette fin d’après-midi pluvieuse. De grands yeux sombres fixaient le petit écran avec concentration, espérant s’y évader, fuir la réalité. Neuf ans seulement et une enfance difficile. Voilà ce qui pouvait résumer l’existence de Micah en quelques mots.
Sa mère, il l’entendait vomir à l’autre bout de leur petit appartement miteux, comme chaque jour. Et inconsciemment, il espérait que ce soit la dernière fois tout en sachant qu’au fond, elle n’irait jamais mieux. Eleni pensait compenser son manque de talent par son apparence, obtenir plus de contrats pour retrouver son succès d’antan. En vain. Elle n’avait réussit qu’à devenir squelettique et les soirées qu’elle animait en tant que dj s’enfonçaient dans la médiocrité chaque fois qu’elle touchait les platines. Tout ça par la faute de son fils, estimait-elle. Si elle n’était pas tombée enceinte de ce barman, jamais rien ne se serait passé comme ça.

Pourtant, Eleni avait trouvé la force de le cacher à Micah. Elle s’était forcée à être une bonne mère, elle avait essayé de l’aimer, vraiment. Mais plus le garçon grandissait, plus il se rendait compte des regards dégoutés de sa mère et plus il cherchait à lui plaire, à la rendre fière. Il comprenait vaguement que c’était la faute de son père, qu’il n’avait jamais connu et qui avait brisé les rêves de celle qui était, à l’époque, la DJ prometteuse de San Francisco.
Mais l’impression d’être un fardeau commençait à le gagner et ses derniers temps, il préférait s’évader par tous les moyens possibles plutôt que d’y faire face. Comment le pourrait-il après tout ? C’était juste un gamin un peu perdu en quête d’affection, d’attention. Peut-être qu’avec le temps les choses s’arrangeraient. Peut-être qu’avec le temps, il réussirait à lui montrer qu’elle n’avait pas tout perdu mais qu’elle avait beaucoup gagné.




C’était la troisième et dernière fois qu’il avait réussit à lui faire changer d’avis en faisant les yeux doux. La troisième fois qu’il avait échappé à ce camp dont elle ne cessait de lui rabâcher les oreilles. Un an avait passé et rien n’avait changé. Ils survivaient grâce au travail d’appoint qu’avait dû prendre Eleni. Serveuse, c’était tombé bien bas selon elle. Alors pour supporter le contrecoup, elle s’était mise à boire de plus en plus souvent.

C’était là qu’elle s’était souvenue, comme dans un rêve, du discours que lui avait tenu le père de Micah.
Lorsqu’il avait changé l’eau en vin pour la première fois, plus rien ne pouvait laisser planer de doute.
Dionysos. Quelle connerie. Qu’est-ce qu’elle avait rit cette nuit là. Qu’est-ce qu’elle en chialait désormais.

Lorsqu’elle sombrait dans l’alcool, c’était son histoire préférée à raconter. Elle avait séduit un Dieu disait-elle ! Un de ceux qui vivaient dans une montagne, là-bas, en Grèce, le pays de ses ancêtres. Et si la majorité la prenait pour une folle, une alcoolique qui voulait se faire remarquer, d’autres avaient eu vent des rumeurs et les avaient pris au sérieux.

C’est ainsi qu’un jour, un homme avait toqué à leur porte. Il avait pris le temps de lui expliquer les différentes solutions qui s’offraient à elle concernant le futur de son fils. Et face à la vie que menait ce dernier, il avait tout fait pour la convaincre de l’envoyer à la colonie. Cette idée, Eleni l’avait écartée au début. Elle avait des responsabilités et devait assumer ses erreurs. Voilà ce qu’elle lui avait répondu. Que ce n’était pas aussi facile de refourguer son petit au premier venu. Qu’il se moquait d’elle, qu’il faisait sûrement partie des services de la protection de l’enfance. Mais chaque soir, lorsqu’elle cherchait le sommeil, Eleni se laissait séduire.

Il l’avait regardée partir le sourire aux lèvres. Comme soulagée. Alors que de son côté, Micah avait le cœur en miettes. Il avait hurlé à en perdre la voix, pleuré au point de plus rien voir. Jamais elle ne s’était retournée. Et aujourd’hui encore, sa silhouette évoluant dans le brouillard de ses larmes le hantait. S’il avait su qu’elle lui rendait un énorme service en renonçant à lui, peut-être aurait-il réussit à relativiser face à cet abandon. Mais Micah n’avait que onze ans ce jour-là et ne possédait pas la maturité nécessaire pour comprendre.  




« Lorsque tu auras l’âge de comprendre à quel point ce cadeau peut être utile, tu l’apprécieras. » Un briquet, accompagné de cette note. Voilà tout ce qu’il avait trouvé sur son lit, à la colonie. Et depuis, ce briquet ne l’avait plus quitté. C’était devenu son porte-bonheur, le symbole de cette nouvelle vie qu’il n’avait pas désiré au début. Le seul geste d’un père pour son fils, comme une demande de pardon, sans vraiment en être une. Comment pourrait-il le savoir au fond, Micah ne parlait jamais avec Monsieur D. Et ce dernier semblait comprendre pourquoi sans chercher à inverser la tendance. Sûrement un sixième sens divin ou quelque chose dans ces eaux là. Alors, tacitement, une relation étrange s’était tissée entre eux. Micah faisait tout pour attirer son attention et Dionysos la lui rendait en punitions, non sans un sourire, qu’il cachait malgré lui.

D’une nature timide à son arrivée à la colonie, Micah avait vite inversée la tendance. Il s’était imposé comme le fauteur de troubles par excellence. Commençant par des farces et usant de la provocation à outrance au début. Roi des fêtes et de la drague désormais. À croire que sa mère était Aphrodite en personne ! Ca se saurait d’ailleurs, il aurait eu moins de râteaux déjà…

Pourtant, son coté sociable avait une faille. Bien intégré à la colonie où il était chez lui depuis dix ans déjà, le jeune homme restait distant dans une certaine mesure. Il ne s’attachait pas. Il avait des amis, certes, mais mettait une sorte de barrière entre eux malgré lui. Et c’était encore pire dans ses relations amoureuses. Ou plutôt charnelles, car il allait rarement au delà. Le pire étant, pour ses conquêtes, de réussir à lui en vouloir. Techniquement, il ne faisait rien de travers, il était honnête, correct et respectueux. Tout était clair depuis le début. Pourtant, les paris allaient bon train concernant celle qui le ferait revoir ses habitudes. Et fort de ses talents d’acteur, il s’en sortait toujours bien, du moins la plupart du temps. Car s’il donnait l’impression d’être bon sous tous rapports, il lui arrivait quelques fois de se montrer manipulateur et user du mensonge pour convaincre les plus têtues.

Néanmoins, tout n’est pas perdu pour Micah. S’il craint l’attachement par peur de l’abandon, pour le moment, il risque de vite déchanter. Les récents évènements le forcent à devenir plus sérieux. Même s’il redouble d’effort pour calmer le malaise ambiant grâce à ses célèbres fêtes, il comprend la fragilité des demi-dieux. Peut-être perdurent-ils à travers leurs exploits mais leur vie reste éphémère, comme le commun des mortels. Alors, pourquoi s’obstiner à renier ce qui rend la vie aussi spéciale ? Les contacts humains. Les sentiments. Tout ce qui vous donne l’impression d’être en vie, en somme. Car si les effluves de l’alcool disparaissent à l’aube, les souvenirs, eux, vous accompagnent jusqu’à la fin. Tout comme ceux qui vous aiment.