feeling like a looser, feeling like a bomb.

THEY TELL YOU THAT YOU'RE LUCKY BUT YOU'RE SO CONFUSED

Le corps de la femme aux cheveux d'or fane peu à peu dans l'esprit du jeune sourd. Cependant, il y a des choses qu'il n'oubliera jamais d'elle, comme la façon dont ses yeux s'illuminaient et ses mains s'agitaient quand elle parlait de sujets importants, comme la façon dont certains sourds avaient réussi à s'imposer dans une société qui avait tendance à les considérer comme des déchets. Elle n'était peut-être pas la plus sympathique ou celle qui enseignait le mieux, mais sa façon d'impliquer ses élèves faisait en sorte que Krystofer ait envie de prendre le relais. Il se voyait bien à moitié assis sur le bureau, en train d'apprendre à des jeunes adolescents les exploits de ceux qui s'étaient battus pour qu'ils puissent avoir le droit de vivre, sans être considérés comme des monstres, des anomalies. Il ne voulait pas devenir un pauvre vieux, en train de moisir dans une maison de retraite où il serait considéré comme une horreur par tout le monde. Il voulait que sa vie ait de l'importance, que ses connaissances lui permettent d'instruire des autres personnes comme lui. Du coup, enseigner dans une école pour sourds lui semblait comme la meilleure des voies qu'il pouvait choisir. Faire partie du jeu, sans se sentir exclu. « Mal entendant? Est-ce que c'est mal? » Le livre qu'ils avaient choisi d'étudier avait été écrit par une comédienne sourde française, qui avait été la première à gagner un prix très important dans le domaine du théâtre. Krystofer était fasciné par la façon dont les signes réussissaient à transformer des pensées en un discours et à donner vie aux idées. Son enseignante affectionnait particulièrement cette comédienne, car elle la voyait comme un bon exemple pour ses élèves. La plupart d'entre eux avaient connu le monde entendant, où ils étaient ceux qui présentaient une défaillance. Elle ne voulait pas qu'ils se sentent limités à cause de ça. Elle voulait qu'ils soient heureux, en suivant leurs rêves et leurs espoirs, comme n'importe quel autre être humain. Parfois, Krystofer se demandait ce qu'elle avait laissé derrière en choisissant de devenir enseignante, si elle avait renoncé à une autre vie pour les instruire. Elle ne parlait que très peu de sa vie avant d'intégrer l'école, du coup ses élèves ne pouvaient que faire des hypothèses. Ce qui était sûr, c'est qu'elle était faite pour le théâtre. Elle ne se contentait pas de raconter une histoire, elle la faisait vivre. Et quand Krystofer signait maladroitement et que ses mains se limitaient à des simples mouvements sans vie, elle l'aidait à faire vivre ses pensées. Dans les moments du genre, le jeune roux se voyait bien sur scène, en tant qu'acteur. Même s'ils n'étaient pas très connus ailleurs, les comédiens et les acteurs sourds étaient assez célèbres chez lui. Cependant, Krystofer n'était pas vraiment intéressé par la célébrité. Il voulait simplement que ses membres l'aident à faire découvrir d'autres vies à d'autres personnes. Mais pour l'instant, il se contentait d'écouter, en attendant le moment où il se trouverait à sa place.

THEY SAY HOME IS WHERE YOUR HEART IS SET IN STONE

Il n'osait pas lever les yeux de ses pieds crasseux. Sa pauvre peau était abîmée par le voyage qui les avait conduits jusque-là. Cependant, en dépit du nombre de blessures qui ornaient ses pieds, la douleur était absente. Des larmes perlaient au bout de ses yeux, mais ce n'était pas à cause des infections qui étaient peut-être en train de ronger son corps. Il aurait préféré que tout se passe dans l'ombre, sans que la Colonie toute entière soit au courant de leur arrivée. Il pouvait sentir les regardes des anciens sur ses joues écarlates, sur ses cheveux flamboyants ou sur sa peau diaphane. Son sang n'était pas le problème. C'était lui le problème. Certains semblaient encore immergés dans leur pâle sommeil, alors que d'autres étaient prêts à l'action. S'il n'avait pas été si perturbé par les regards des autres, il aurait apprécié l'esthétique du bungalow d'Aphrodite, avant de remarquer les t-shirts oranges qui ne se camouflaient pas dans la froide nuit. Cependant, la seule chose qu'il vit fut la terre. Et ses pieds. Il n'osait pas lever ses yeux, de peur de voir la réalité en face. Krystofer aurait bien aimé disparaître dans les tréfonds de la terre, dans l'espoir d'oublier tous ces yeux qui le regardaient. Les couleurs étaient effacées par la noirceur de la soirée, et tout le monde se ressemblait. Il n'y avait que quelques détails qui brillaient dans l'ombre. Une cicatrice sur une jambe, des pieds anormalement grands, des cheveux absents. Les pensionnaires étaient désormais des simples traits inconnus pour le jeune gallois. Des traits inconnus qui ressemblaient vaguement aux monstres de son enfance.

La jeune fille qui était assise à côté de Krystofer avait des longs cheveux bruns. Sa peau était assez pâle, et ses yeux avaient la couleur du miel. Cependant, le jeune roux ne remarquait aucun des détails des pensionnaires autour de lui. Il essayait de se concentrer sur autre chose, dans le but de dompter cette bête féroce qui se nourrissait de sa peur. Les adolescents se levaient peu à peu, et chacun allait dans sa maison, accompagné par ses amis. Ils étaient groupés par parent divin, apparemment, et Krystofer ne pouvait pas s'empêcher de sentir une pointe de tristesse. Il n'avait pas encore été reconnu, et il avait peur que ce jour n'arrive jamais. Quel dieu voudrait bien reconnaître d'être à l'origine d'un gamin roux qui n'entend pas le moindre son? Il ne savait pas encore qui était son parent divin, mais il espérait juste qu'Aderyn ne soit pas handicapée par le "défaut" de son jumeau. La fille à côté de lui se leva, prête à aller se coucher. Krystofer fit de même, sans pour autant savoir où est-ce qu'il était censé aller. Finalement, au bout d'un moment, Aderyn le mit au courant du fait qu'ils devaient dormir dans le bungalow de Hermès jusqu'à que leur père ou leur mère les reconnaisse. Ce fut une des nuits les plus longues pour le pauvre roux, qui n'arrêtait pas de tourner dans son lit, en attendant que le sommeil l'emporte ailleurs, loin de cet endroit qui le terrifiait.

I WANNA TOUCH THE EDGE OF GREATNESS

Krystofer ne comprenait pas. Les lèvres des autres pensionnaires bougeaient trop rapidement pour qu'il essaye de deviner ce qu'ils disaient et leurs mains étaient beaucoup trop inertes. Ils n'avaient sans doute aucune envie de ralentir leur flux de paroles pour que le jeune roux puisse s'intégrer à leur conversation. Il avait l'habitude, à force de côtoyer des personnes qui n'étaient pas capables de s'adapter à sa situation, mais à vrai dire, la situation ne lui plaisait pas plus que ça. Il ne blâmait pas la Colonie en général, mais les quelques personnes qui ne semblaient pas se soucier de lui, comme s'il n'était qu'un pauvre idiot, incapable de les comprendre. Certains demi-dieux avaient quand-même fait l'effort d'apprendre à communiquer avec lui, que ce soit à l'aide de leurs mains (même s'ils restaient minoritaires et d'habitude ils ne connaissaient que quelques mots), d'un bout de papier ou de leur lèvres, et il leur en était reconnaissant. Au milieu de leur cascade de paroles qui tombaient sans cesse, il ne comprit qu'un seul terme: Heather. Depuis la mort de Nick, Krystofer ne comprenait pas ce qui se passait. La belle blonde, fille de Nyx, avait changé du jour au lendemain, comme une maison détruite par un ouragan de méchanceté. Elle ne ressemblait plus à celle qu'ils connaissaient. Le trois devint un deux. Krystofer avait été étonné par la réaction de Heather et en dépit de ses efforts, elle ne changait pas. La mort de son jumeau l'avait probablement anéantie et le jeune roux n'osait pas imaginer quelle aurait été sa réaction s'il avait été à sa place, si Aderyn avait été tuée pendant la nuit, sans qu'il soit capable de lui parler une dernière fois. Cependant, ses sentiments ne rendaient pas la situation plus facile à accepter. Certes, il avait encore Aderyn, Drew, Evan, Maxiel, Nora... Mais il n'arrivait pas à accepter la perte de sa meilleure amie. La situation était beaucoup trop grotesque pour que ce soit vrai. L'état de santé de son meilleur ami, victime de ses crises d'épilepsie, ne s'améliorait pas avec le temps. Evan ne voulant pas que la Colonie entière soit mise au courant de ses problèmes, Krystofer était seul avec le brun quand ses crises arrivaient. Dans ces moments-là, il avait l'impression d'être affreusement seul. Evan n'était plus avec lui, Heather restait enfermée dans son ouragan, et les autres ne pouvaient pas l'aider. Il se retrouvait à nouveau enfermé dans son monde, comme si les autres avaient décidé de l'abandonner, seul contre la maladie de son ami et contre le vide qui s'ouvrait lentement dans son cœur. Le sol en bois, nettoyé à la va-vite, était le seul qui l'accompagnait dans son enfer. Il ne pouvait pas entendre son meilleur ami, mais le voir suffisait pour l'anéantir. Krystofer aurait pu laisser tomber Evan, faire en sorte que quelqu'un d'autre s'occupe de lui, mais il n'avait pas le droit de le laisser seul, comme l'avait fait Heather. Il espérait qu'elle sorte de son ouragan, mais quelque part, au fond de lui, il avait perdu espoir.